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vendredi 30 août 2013

Judas sombre héros de l'amer


Martyr devant la grande Histoire

Lorsqu'il est question d'Histoire, mémoire sélective et mémoire collective font souvent bon ménage. C'est pourquoi je rêve de revivre cette période, fantasmée, commencée avec l'année zéro de notre ère, d'où partiraient tous les flashbacks et les flashforwards du Cosmos. Après tout, ne fut-il pas le pitch idéal pour le plus grand des soaps, la meilleure série TV du monde ?

Pas gâté, Judas est resté dans les ouvrages et nos mémoires comme le traître, lâche et fielleux, fieffé menteur, dangereux et déloyal mercenaire, déserteur d'un projet humain et grandiose et transcendant, félon, fourbe, infidèle et perfide, sournoisement renégat, vendu. Et sur le blason de la dérobade, une anguille grimaçante pour totem. Ô l’Iscariote !

Tout avait pourtant bien commencé. Fidèle parmi les fidèles, membre éminent d'un hypothétique premier cercle, dernier rempart d'une amitié supposée indéfectible et d'un projet qui avait des ailes. Jusqu'à son étreinte mortelle... Un simple baiser. 


Comme dans toute petite entreprise prospère, alors en plein essor, qu'est-ce qui lui passa donc par la tête pour se disqualifier de la sorte aux yeux de l'humanité, alors que tant d'autres, des inconnus, des personnes croisées au hasard de leurs pérégrinations légendaires, eurent pu, à sa place, faire le "sale boulot" ? Pourquoi ce dérapage alors que de surcroît, Jésus l'avait prévenu, qui plus est devant témoins, de l'irréparable qu'il s'apprêtait à commettre ? Etait-ce l'aveu d'un déterminisme dans la bouche du fils de Dieu ? Pas si sûr...

Les faits rapportés dans les différents évangiles sont têtus : Judas dénonce Jésus parmi un groupe d'hommes. Il est donc le délateur, celui qui désigne, celui qui "montre du doigt".

Parmi les textes apocryphes, c'est-à-dire non reconnus par l’Eglise, l’Evangile de Judas fait pourtant ressortir des aspects méconnus de la relation entre Jésus et son apôtre qu'il m'apparaît utile de restituer dans la présente réflexion. Jésus lui dit notamment « Tu les surpasseras tous, car tu sacrifieras l’homme qui me sert d’enveloppe charnelle » puis « Je t’enseignerai les mystères du royaume (…) mais pour cela tu souffriras beaucoup » ou encore « Viens et je t’enseignerai ce qu’aucun être humain ne verra ». Voilà qui contribue à dépeindre Judas comme un apôtre à part, le seul à comprendre le vrai sens de la parole du Christ, à savoir qu’il lui faudra dénoncer Jésus afin que la légende de ce dernier puisse s’écrire pour de bon. Dans cette optique, Judas aurait donc commis un acte odieux sur commande, à la demande de Jésus. Sa trahison devient dès lors sous cet éclairage un inégalable acte de foi.

D'où ma première hypothèse : et si Judas n'avait fait que réciter sa partition, s'il avait tout simplement agi de façon parfaitement fidèle et obéissante ?


Faux semblants

Dans Mémoire d’Essénien il est précisé que lors du dernier repas, « plus de 120 personnes entouraient Jésus et qu’un de ses jumeaux (physiquement parlant) était le chef des zélotes. Il se faisait passer pour Jésus ». Cette idée est aussi contenue dans certains évangiles qui rapportent des propos de Jésus décrivant l'apôtre Thomas comme étant son parfait jumeau...

C'est là qu'intervient ma deuxième hypothèse. Etant agnostique et rationnel, je m'interroge : si nous prenons pour acquis que cette épopée à nulle autre pareille ne fut qu'une aventure humaine hors normes, pourquoi Jésus sur la base de ce qu'il observe (son visage est assez peu connu, il a de surcroît une dégaine très répandue à l'époque, barbe et cheveux longs, et se sait entouré de fidèles à la fois dévoués et lui ressemblant étonnement pour certains) n'aurait-il pas l'ingénieuse idée d'asseoir définitivement sa légende en sacrifiant un "sosie" ? C'est par ailleurs une époque où ni les medias ni la police scientifique ne peuvent grand-chose pour définir avec certitude l'identité d'un homme. Tout semble réuni pour que la supercherie passe comme une lettre à la poste et que la postérité n'en retienne que l'essentiel  : un miracle.

Or la crucifixion intervient dans un contexte historique terriblement propice : Rome resserre son étau autour de Jésus, et la réflexion de ce dernier doit aller bon train pour envisager comment sortir par le haut d'une situation quasi désespérée. Avec un tel stratagème, il ferait naturellement coup double : Sauver sa tête tout en donnant corps au plus grand des miracles : la résurrection.

Citons à cet effet le Coran qui évoque clairement le fait étrange que « Jésus n’a pas été tué (…) Ils ont cru le faire. Ils ne l’ont pas tué en vérité ».

Ce qui peut être une façon de dire la même chose...



Le grain de sable

Dans cette hypothèse, Judas se fait le complice d'un tour de passe-passe génial. Ce qui peut justifier doublement son statut d'apôtre à part, le plus dévoué, le plus fiable, le plus naïf aussi ?

Son rôle étant dès lors primordial : désigner aux autorités romaines un homme qui n’est pas le Christ, un sosie (qui au choix peut être un fidèle prêt à donner sa vie pour le Christ, ou un homme qui aura par cet acte mis sa famille à l'abri du besoin pour des décennies). Un innocent pourra ainsi endurer le martyr en lieu et place de Jésus qui n'aura dès lors plus qu'à réapparaître 3 jours plus tard. Et pour que cela fonctionne, il faut bien qu'un proche de Jésus ne l'identifie formellement ! Ce sera Judas.

Mais un grain de sable vient enrayer la belle machine, Judas vivrait-il mal la culpabilité héritée de cet acte moralement inqualifiable malgré un enjeu phénoménal ? Jésus et ses véritables complices (Jean et Pierre d'après les écrits et témoignages du passé) craignent peut-être que Judas ne révèle toute la vérité à la face du monde. Ou son sacrifice est-il déjà prévu de longue date ? Toujours est-il que Judas sera "suicidé" pour une raison de taille... La raison d'Etat, si friande en sacrifices, n'est en comparaison, que basse gnognotte. La priorité étant de ne pas prendre le moindre risque de voir le subterfuge dévoilé un jour ou l'autre...

Dans cette hypothèse, un suicide déguisé ne put avoir lieu que grâce aux complicités des 2 apôtres préférés : Jean et Pierre constituent ce premier cercle, considéré comme le plus parfait du tableau de Léonard De Vinci : La Cène. Il y est d’ailleurs question d'une discussion privée entre Pierre et Jean pendant qu'un couteau est appuyé (accidentellement?) sur les côtes de Judas qui esquisse un mouvement de stupeur. La métaphore limpide du sort qui fut in fine réservé à l'Iscariote, pour la "bonne cause" ? J'aime à le penser.


En tout cas, si l'histoire, la vraie, s'était déroulée ainsi, resterait à percer le secret de ce qui put chez Judas déclencher le désir de briser le secret qui les tenait tous.

Et c'est là qu'intervient, comme dans tout bon film noir, l'énigmatique personnage féminin, la figure fatidique de la femme fatale.



Marie-Madeleine

Elle est la première à témoigner de la résurrection de Jésus. J'en fais donc une hypothèse de réflexion centrale. Dans d'innombrables polars, le premier témoin d'un meurtre ne révèle-t-il pas souvent des motivations secrètes à une présence en apparence fortuite ? Habile façon de légitimer un phénomène paranormal, de renforcer le halo d'innocence autour de sa personne alors qu'elle n'eut pas été au bon endroit, au bon moment par le seul fruit du hasard.

Je repense d'ailleurs au mémorable Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon (Elio Pietri, 1970) qui dépeint à la perfection un commissaire enquêtant sur son propre crime, un personnage ambigu et passionnant qui par définition est le dernier à avoir vu la victime vivante, donc le premier à pouvoir témoigner de sa résurrection, si une telle chose eut été possible.


Peut-être en fut-il de même pour Pierre et Jean qui la suivirent de peu dans cette extraordinaire découverte d’un Christ ressuscité - ce qui selon moi renforce l'hypothèse d'une triple complicité.

Creuser la personnalité de Marie-Madeleine revient également à s'appesantir sur ses liens complexes avec Jésus. Simple disciple ou sa femme comme semble l’indiquer l’Evangile de Barthélémy ? L’évangile de Philippe précise d'ailleurs à ce sujet : "ils étaient trois qui marchaient toujours avec l'Enseigneur, Marie sa mère, la soeur de sa mère et Myriam de Magdala qui est connue comme sa compagne (koïnonos) car Myriam est pour lui une soeur, une mère et une épouse (koïnonos)".

Le vrai coup de théâtre pour le coup sera venu de Dan Brown qui dans son Da Vinci Code développe cette idée que Marie-Madeleine et Jean ne formaient qu’une seule et même personne. Et que le Messie eut une descendance grâce à elle. L’Evangile de Thomas intrigue sur ce point lorsqu’il évoque le regard de Jésus sur les femmes : "Toute femme qui sera faite mâle entrera dans le Royaume des cieux". Elément qui peut corroborer cette idée que Marie-Madeleine apparaissait lors des réunions publiques de Jésus sous les traits d’un homme (Jean ?). La Cène de Léonard De Vinci fait d’ailleurs apparaître Jean sous des traits éminemment féminins.


La crucifixion aurait ainsi permis au premier cercle (Jésus, Jean, Pierre et Marie-Madeleine) de fuir vers Ephèse, Jésus et Marie-Madeleine pouvant y vivre plus sereinement leur amour.


Rendre à judas...

La voici dans son plus simple appareil l’intrigue du plus grand des films noirs ! Nous devenons les témoins pantois du destin unique d’un homme qui, dépassé par sa légende, s’attirant les foudres du pouvoir en place (Rome, bien décidé à l'éliminer), finit par trouver cette idée géniale – ou se la fait susurrer par une femme, Marie-Madeleine, qui voit loin - de mettre en scène sa mort en sacrifiant un innocent pour reprendre une vie plus normale. Retrouvant la paix de l'anonymat, il laissera ensuite à sa place 12 apôtres reprendre le flambeau et répandre la bonne parole. Peut-être l'aura-t-il justement fait pour l'amour de cette femme, Marie-Madeleine. Derrière tout grand homme, il y a, dit-on, une bonne conseillère tapie dans l’ombre.

La géographie incite d'ailleurs à une vigilance accrue. D'après de nombreux écrits et témoignages, Marie-Madeleine aurait vécu comme l’apôtre Jean ou la Vierge Marie à Ephèse (Turquie, Izmir). D’où la théorie développant cette idée qu’elle y vécut aux côtés de Jésus, qu’ils eurent des enfants ensemble à Ephèse… Où La Vierge Marie et Jean, comme elle, auraient dans certaines restitutions, fini leurs jours.

Tous les chemins mènent bien à Ephèse, où il faudrait poursuivre plus avant nos investigations.

J'aime alors imaginer que le valeureux Judas découvrant la relation de Jésus et Marie-Madeleine, comprenant trop tard les enjeux bassement humains de ce sacrifice dont il fut le commis trop sage, et avant de pouvoir dénoncer publiquement le gigantesque subterfuge sera réduit au silence par ses anciens camarades.

Au fond, c'est Jésus qui a gardé la bannière et Judas la croix...

Pour les siècles des siècles.

Amer.

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