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mardi 27 août 2013

Le jour ni l'heure. Roland Barthes


C'est en octobre 2011, j'arrive tout seul à Urt, autant dire à poil. Le ténébreux éclaireur qui laisse à dessein derrière lui femme et enfant pendant près de 2 mois.

Facile sur le papier, mais l'idée vaut noblesse et souffrance : il s'agit de créer les conditions rêvées pour accoucher de l'indépassable chef d'oeuvre du 7ème art qui aux dernières nouvelles dormirait dans quelques recoins obscurs de mes entrailles.

Le premier problème c'est de savoir où. Le deuxième ? Aux apprentis maçons les mains moites... Oh, j'ai bien allumé l'ordinateur, en me disant que "si je passais la tête, le corps suivrait forcément,"mais voilà, de vraies excuses en fausses priorités, ça s'est progressivement massé au-dessud de l'Ermitage et mes beaux petits projets de liberté, un cumulo-nimbus libérant sa pluie tropicale et millimétrée : sortir les poubelles, lancer une machine, assurer le repassage, lustrer le vénérable parquet, ramener du bois sec de la remise afin de raviver l'âtre oublié de la cheminée, manger puis laver mon assiette. Regarder la télé, m'insensibiliser à la dévorer sans relâche et sans appétit, m'effacer lentement devant mon désir. Même le fascinant spectacle quotidien des 4 écureuils exécutant de façon anonyme quelques fabuleuses figures acrobatiques dans les arbres nus qui encerclent la maison par l'arrière me laisse anesthésié.

Le lendemain singeant la veille, le sur-lendemain prolongeant cette fuite en avant. Je repense alors, ému, à Bill Murray dans l'excellent Un jour sans fin (Harold Ramis, 1993 ).



Et cette pensée stimulante, comme un baiser de prince charmant, m'ouvre les shakras. Soucieux d'identifier les étapes cruciales probablement négligées dans l'enthousiasme de débuts délicats, je m'échine alors à leur donner une réalité, de la chair pour mieux briser le charme.

1 Joindre le geste à la parole, enfiler LE costume providentiel. J'achète donc lunettes et béret pour habiter le personnage, faire ma peau neuve de jeune écrivaillon de province en devenir.


2. Plus délicat, capter dans le fond de l'air les ondes positives émanant des illustres noms qui foulèrent un jour cette terre Urtoise si fertile. C'est donc à dos de VTT (fraîchement acquis en vue de perdre quelques kilos superflus) qu'un matin glacial mais ensoleillé (mais glacial), je regagne le petit chemin communal, segment très court qui borde l'accueillant cimetière du village. Le nez et les doigts en berne, je les réchauffe d'une haleine toute matinale avant d'arpenter fébrilement les allées de ce dernier à la recherche de la fameuse tombe de Roland Barthes à l'épitaphe obsédante "Le jour ni l'heure".


A la faveur d'un soleil radieux, je finis par la repérer en vieux briscard de Touco découvrant la fameuse stèle qui lui ouvrira les portes d'un avenir doré dans Le Bon la Brute et le truand (Sergio Leone, 1966).


Je pense ressentir les même émotions, fortes et fugitives, qui l'auront traversé au moment précis de sa découverte. Ambiance de western, lieu désert, le vent qui siffle, doucereux, Ennio Morricone n'est pas loin. Je cherche l'état second, l'apnée mentale qui me fera entrer en contact avec l'esprit du grand Barthes. Mais au lieu de ça, je deviens tout bleu. Reprendre mon souffle, vite, le nez congelé au vent mauvais n'a rien senti passer de miraculeux. Ne subsiste que le bruissement des dernières feuilles ornant le platane considérablement dégarni à l'entrée du carré silencieux.

Je rebrousse chemin, ignorant si je me suis ou non chargé de l'énergie créatrice du maître, espérant que la magie opèrera dès mon retour sous mes doigts cavaleurs. Mais la routine reprend ses droits. Je suis bredouille, ne voyant se matérialiser ni le jour ni l'heure du début d'un commencement d'histoire...


Reste une piste, la seule qui vaille : je sais de source sûre que Pierre Benoît (L'Atlantide) a séjourné de nombreuses fois à l'Ermitage durant la première moitié du XXème siècle, qu'il y aurait même écrit un roman. Son esprit pourrait m'insuffler quelque chose de libérateur, d'euphorisant ! Il est mon salut, j'ai la faiblesse de le penser.

La nuit suivante, des bruits sourds résonnent. Ca vient d'en bas. J'ai peur. Ils proviennent sûrement de la chaudière capricieuse tapie dans le sous-sol. Problème : ils ne semblent pas vouloir disparaître, m'obligeant à quitter la chaleur de mon vieux lit qui grince. Je descends à pas comptés, pieds nus glacés, armé d'un caleçon, de peu de courage et d'une lampe torche qui tremblote. Les bruits ont disparu lorsque j'arrive à la cave mais ils reprennent de plus belle alors qu'en regagnant la chambre je m'arrête devant le petit bureau que j'ai soigneusement aménagé pour en faire un temple de l'écriture. Jusque là inviolé. Une information capitale me revient alors subitement en mémoire.  L'imposante rampe sur l'escalier de l'entrée, Jean Graciet (bâtisseur de la maison) l'a faite installer pour les besoins d'un Pierre Benoît qui paraît-il boitait bas... Une évidence : ce bruit lourd, caverneux dans la nuit n'est que l'écho de son coup de canne autoritaire pour m'enjoindre à sortir du lit et regagner dans l'obscurité l'ordinateur afin de respecter le contrat que ma conscience et moi avons passés début octobre.

Et cette nuit-là, j'ai commencé à écrire...

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