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dimanche 25 août 2013

Théorie du sommeil : le crépuscule des peluches



Mauvaise foi

Quand je déprime, je me replonge avec délice dans la peau du bambin de 8 ans que j'étais lorsqu'un soir, à Abidjan, il devait pas être loin de 21h00, j'ai décidé de faire ma prière pour la dernière fois. Je revois très bien la scène. Debout sur mon lit, à sautiller, à haranguer non sans emphase une armée de doudous prêts à en découdre, jusqu'à y laisser leur peau de synthèse :

Amis Doudous, ces divins imposteurs nous traînent depuis trop longtemps dans leurs cachots intimes en conférenciers immaculés du grand leurre qu'ils sont. Ces apprentis alchimistes et autres défaits de la pensée agitent frénétiquement nos peurs fertiles dans quelques flacons poussiéreux, ils n’ont de lumière que leurs habits et restent aveugles à l'éblouissante noirceur, celle qui se cache en toute humilité dans les bruissements pourtant immémoriaux de la nature comme dans la douce pénombre de ce prétoire

Des "ohhhh", des "quelle aura" claquèrent, s'entrechoquèrent dans un brouhaha admiratif. C'était dans la poche, la foule était conquise, n'attendant qu'un signe de moi, qu'un imperceptible hochement de tête, pour (re)bondir à la face du monde. Ca continuait à peu près comme ça :

Sachons éviter les chemins balisés, ne prenons pour acquise aucune des mille et une vérités frappées du sceau de l’expérience, autant de démagogies instituées en lois immuables par les hommes. Renions toute idée logique car faussement rassurante... (silence) La prière n'est pas un besoin vital de 21h00, A quoi bon ânonner quelque phrases dont le sens nous échappe au moment de bailler ? C'est seulement ainsi que l'esprit humain saura s'ôter le poids de toute fatalité pour retrouver le chemin courageux de la liberté, réveillés que nous serons par l’expérience d’un baiser vénéneux, celui du grand mystère. En osant ouvrir un nouveau sentier dans la pénombre ancestrale d'une forêt primaire en péril, nous nous laisserons guider à l'intuition, seule vraie boussole, jusqu’aux berges d’un lac oublié dans les extatiques abysses duquel nous nous abandonnerons pour en sonder pleinement les profondeurs délétères. C’est alors que, plongés dans ce bain chaud d’imaginaire, comme exilés du monde, rejailliront en saillies furieuses les toutes premières lueurs amères de l’enfance, de cette vertu originelle et indispensable pour qui la vérité nue veut entrevoir.

Affranchis que nous étions du poids des vaines certitudes, de la folle vanité de l'Homme, je venais de nous révéler au monde comme à nous-mêmes pour ce qui restera à jamais comme l'historique Discours de Cocody.


L'enfance retrouvée

Je sais bien pourquoi j'y repense. C'est précisément ce qui m'a emballé dans Le crépuscule d'une idole (ou l’affabulation freudienne), cette capacité qu'a Michel Onfray d'ébranler sur ses bases une institution vénérée de la pensée unique, la psychanalyse en l'espèce.

J'ai désormais 37 ans et je m'interroge : comment rester fidèle à ce petit garçon que je ne suis plus, comment aurait-il abordé cette question cruciale des secrets de l'inconscient, de ce qui se trame à notre insu pendant le sommeil, de la façon dont s'y jouent peut-être les vrais enjeux de l'existence, de la guérison mentale, de la connaissance de soi ?

Après s'être éclairci la gorge, sucé un bonbon acidulé, l'enfant que je fus se serait probablement chauffé la voix...

Oui mes amis ! En maître incontesté de ces eaux troubles où les souvenirs les plus anciens gardent une fraîcheur et une jeunesse insolente, le sommeil occupe une place prépondérante dans nos vies terrestres. C'est pourquoi nous devons commencer par les fondamentaux : dompter ce cheval sauvage et fougueux. Y êtes-vous prêts ?

(Hourras des peluches, excitées peut-être à l'idée de monter à cru un canasson)

La solution était là, en toute simplicité, dans une nouvelle façon d'aborder le problème, en posant dessus notre regard d'enfant truffé d'intuitions.

A l’attitude victimaire de l'observateur passif ou de l'analyste empêtré dans des théories fumeuses, préférons agir le sommeil, façonnons cette arme de construction massive avec un objectif avoué : muscler son jeu, la discipliner jusqu'à ce qu'elle finisse par plier sous le poids de nos volontés conscientes

(Ovations des nounours)

Alors vous me direz quel mode d’emploi ? Aussi simple qu'intuitif. Plutôt que de chercher péniblement à nous souvenir de nos rêves de la nuit passée, le moment clé se situe maintenant, au moment où je vous parle, à la nuit tombée, juste avant d'éteindre la lumière

(Des ooooh de surprise et d'étonnement)

L'enfant éventra sa trousse d'écolier laissant s'éparpiller sur la moquette épaisse de la chambre, au pied de son lit, des dizaines de stylos multicolores. Puis ce fut le tour d'un rouleau de papier de circuler paisiblement entre chaque jouet, s'offrant à l'envi, s'étiolant par lambeaux à l'un puis à l'autre en un rite sacrificiel.

Allons, allons, est-ce que chacun est muni d'un stylo et d'un bout de papier ? reprit-il avec fermeté.

(Assentiment général)

Je propose une offrande à nos sommeils respectifs comme liste au père noël. Chacun y reprendra les points qu'il souhaite voir abordés et débattus durant la nuit, les questions restées sans réponse...

J'imaginais bien ce qui put traverser l'esprit de la chenille en mousse usée par les années dans le fond de la petite chambre, du chien-coussin tout sale, ici, aux première loges, de la timide tortue qui sentait la fraise là-bas sous le rideau, la carapace mangée par l'obscurité... Tout un monde de noeuds spécifiques à défaire ! De longues secondes imprégnées de silence introspectif et de sérénité s'écoulèrent. Puis l'enfant conclut :

A présent posez délicatement votre lettre sur la table de chevet. C'est à cette nébuleuse intime qu'elle est adressée. Sa tâche consistera dès lors à proposer des clés, chercher des réponses dans les tréfonds vertigineux de nos inconscients, creuser follement autour des racines, pour en extraire les huiles essentielles, celles de l’espoir jamais vaincu... Le sommeil abattra un travail titanesque pendant que se reposeront nos enveloppes corporelles sans jamais chercher à en comprendre ou décortiquer les fruits complexes. Nos rêveries se chargeront toutes seules, sans effort, de distiller goutte à goutte dans nos vies diurnes un sens qui donnera à nos pas la vraie cadence, celle de ceux qui se savent être librement sur les bons rails de l’existence. Des effets qui se feront sentir au fil des jours, comme, en creux, autant d'échos dans nos êtres.

C'est le moment que choisit son papa, alerté par tant de gouaille dans un si petit corps et à une heure aussi tardive, pour actionner nerveusement la poignée.

Romain qu'est-ce qui se passe, ouvre !

Mais le bon petit diable était prévoyant, méticuleux, imparable. Il avait tantôt subtilisé la clé qui lui permit d'achever en beauté sa diatribe par cette phrase un rien solennel :

Du nécessaire retour aux sources pour déterrer sa boussole, de l’utilité de se servir du rêve comme d’un guide indispensable, indéfectible sur le sentier lumineux qui mène à la connaissance de soi, de cette croyance, la seule qui vaille, jaillira la lumière mes amis.

Chacun regagna sa place dans la chambrette, le petit garçon retrouva la chaleur de la couette, ferma les yeux, mais devant les coups qui redoublaient d'intensité contre la porte, endossa avec une facilité déconcertante le rôle du marmot qui sorti d'un mauvais rêve, candide et apeuré, court tourner la clé d'un main tremblante sous le regard attendri d'un papa soulagé. C'est ainsi que les choses de la vie reprirent leurs cours monotone.

Je ne pouvais après coup m'empêcher de penser qu'après l'avoir pourtant renié avec véhémence, non sans raison, l'enfant venait mine de rien de livrer un morceau de bravoure en vulgarisant la fonction profonde de la prière dans les civilisations chrétiennes. Avait-il par ailleurs conscience d'avoir à son tour, isolé, enrôlé, embrigadé tant de libertés individuelles, furent-elles en peluche ?

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