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jeudi 5 septembre 2013

Immortaliser ton regard, Gérard. Par Catherine Breillat

Peu avant qu'il ne prenne congé, mon père a eu cette phrase qui m'a arraché de chaudes larmes. En temps normal je sais bien ce qu'il aurait dit, prosaïque, que j'étais trop émotif, trop affecté par la situation... Mais après avoir longuement inspiré, il a murmuré quelques mots douloureux en ne disant pas autre chose : "Ton problème fiston, c'est que tu es trop amoureux de moi". Et je lui ai immédiatement donné raison, dévasté par l'énergie créatrice et la poésie de cet instant.

La maladie avait hélas pris le soin d'altérer, d'emporter son beau regard, si noir, si profond, lui fermant définitivement l'oeil droit.


Ce qui rétrospectivement m'a frappé, c'est qu'il m'en avait souvent parlé de ce regard, arborant même une certaine fierté quand il évoquait l'aventure qu'il avait eue dans sa jeunesse (sur la côte Basque) avec une jeune femme alors blonde, future cinéaste : Catherine Breillat. Dans les souvenirs qu'il m'en rapportait, elle adorait ces yeux, ce regard qu'elle aurait voulu pouvoir un jour immortaliser sur pellicule.

J'y repense maintenant parce que j'ai retrouvé cette photo dans un tiroir. Derrière la question du regard de l'être cher, il y a l'enjeu de l'intensité de la lumière, de ce qui résiste à l'obscurité, de ce qui demeure en capacité d'émerveillement devant la vie malgré le pourrissement qui se niche partout, à chaque instant, au creux de nos paupières, repoussant de loin en loin sous les pensées les plus magiques. Or le regard ce serait quoi sinon ce dernier rempart, ce phare qui éclaire, ce reflet de l'âme ?

Aspiré par une envie difficile à qualifier, conscient du caractère possiblement mortifère de la démarche, je me suis néanmoins décidé à jeter ma bouteille à la mer. Un message laconique, sans grand relief, anonymement déposé un soir d'hiver dans le grand livre des visages.

Chère Catherine,


Lirez-vous cette missive ? Je suis le fils de Gérard qui m'a souvent parlé de vous, jusqu'à ce qu'il vienne à me manquer voilà peu. Je sais que vous vous êtes connus, plus jeunes, à Anglet, j'ai commencé un travail de mémoire façon puzzle pour reconstituer le positif, même lointain même échappé du moule immobile qui nous étreindra tous un jour. J'ai récupéré de nombreuses photos et lettres, autant de témoignages du passé, le vôtre m'intéresserait surtout s'il est porteur de moments agréables comme la vie sait aussi en réserver, sans prévenir. Merci d'avance si réponse il y a, ou simplement merci d'avoir pris le temps de me lire. Peut-être que les images d'Anglet, de Biarritz, de Bayonne, de l'Euskadi raviveront vos prunelles brillantes comme le ciel étoilé de ce soir.

Jusqu'ici pas de réponse, mais je n'en attendais pas. Non, le bénéfice est ailleurs : le simple fait de me replonger avec intensité dans ces éclats du passé, loin de revêtir un caractère régressif, se révèle un irremplaçable moment de communion avec mon père, à chaque nouvelle incursion dans un passé bien vivant pour qui sait le conjuguer au présent.

Ca ou réécouter La servante au grand coeur version Léo Ferré, morceau qu'il aimait par dessus tout. A raison.  




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