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dimanche 8 septembre 2013

Musée du Père

Une fois sur place débute cette longue phase d'installation, on se calfeutre, on se cherche des repères, on s'observe en silence, on jauge la nouveauté, invisible adversaire.


Un huis clos qui est matière à nourrir de soyeux récits, sombres et mystérieux, et dont l'un des innombrables pitchs pourrait être le suivant :

3 personnages cohabitent dans un sas de décompression, y fourbissent d'improbables armes dans l'incertitude du lendemain, étranglés par l'angoisse qu'elles ne se révèleront d'aucune utilité dans le combat qui se précise, face à l'inconnu qui pourrait bientôt les avaler tout cru.

Cette acclimatation progressive s'accompagne d'un réglage minutieux de la température dans la maison (thermostat bloqué à 21 degrés) pour créer l'illusion d'un pays chaud dans le pays froid, pour garder comme un pied rêvé à Douala. Le tableau se peaufine au coin du feu, refuge de circonstances, qui devient le passage obligé, un lieu de culte à la nuit tombée pour réchauffer à l'unisson 3 petites âmes frigorifiées.

Puis un beau matin, il est question de se mesurer à cette réalité qui s'est imposée à nous. Arpenter ce nouveau monde en famille pour oxygéner, à défaut de pouvoir les changer, nos idées noires. Et quoi de mieux pour ce faire qu'une virée au musée de la mer à Biarritz au volant d'une Jaguar Sovereign modèle 1980 molletonnée, rassurante, un rien tape-à-l'oeil aussi. L'occasion est belle, d'un pèlerinage aquatique sur les bords de l'océan atlantique, non loin de la maison familiale d'AngletLes Tamaris.


Alors que Nahia et Mireille s'extasient devant quelques phoques rigolards, requins marteau à la mine austère, raies Manta prodigieusement gracieuses, mollusques signifiants et autres hippocampes de la taille d'un porte-clé, je ne peux m'empêcher, encerclé par tant de mètres cubes d'eau salée, de repenser à ce 20 avril 2007 qui fera date dans ma compréhension du monde et de ses petits secrets bien gardés.

A l'époque, je reviens dans cette maison quelques jours après la mort de mon père afin de l'accompagner vers sa dernière demeure. La messe se fera dans l'église du village le lendemain. et je passe ma première nuit, glaçante, dans la chambre principale, avec l'espoir de l'y rencontrer, sous les draps, au détour d'un couloir obscur, à la faveur d'un hululement d'outre-tombe ou tout signe surnaturel interprétable histoire de réamorcer le dialogue père-fils. Je ne ferme pas l'oeil mais aucune révélation divine ne se produira. A ma grande tristesse.

Déçu, épuisé, n'ayant pu trouver le sommeil, accroché à un espoir qui ne fit que s'amenuiser au fil des heures, je profite des premières lueurs de l'aube pour rallier à pied (1 kilomètre et demi) le petit café, le seul, qui vient d'ouvrir ses portes sur la petite place du village.

La messe commence dans 2 heures, je m'installe au zinc pour siroter un café serré.

En réajustant la jolie cravate sombre qui ne détone pas sur mon fameux complet gris des occasions tristes, mon regard se pose sur le petit écran au dessus du bar. Radiographies millimétrées de l'actualité récente, les informations se succèdent quand tout mon être est secoué par un effet d'annonce. Dérivant à la surface d'un océan calme, un petit bateau de plaisance vient d'être retrouvé au large des côtés australiennes. Une famille est portée disparue. A ce stade, aucune explication rationnelle... Je suis abasourdi, pas que cette histoire me touche particulièrement, mon état du moment est assez indescriptible du point de vue des émotions, elle fait surtout écho à une anecdote dont je suis à cet instant précis le seul à pouvoir mesurer l'invraisemblable portée.

J'ai écrit ma première nouvelle en 1998, 9 ans plus tôt. Un jeune homme y fait un rêve étrange émaillé de détails précis lui permettant d'expliquer les causes d'un drame familial à bord d'un petit yacht. A son réveil, le jeune homme apprend par les médias que son cauchemar s'est effectivement produit pendant la nuit précédente. Il est persuadé que le hasard n'y est pour rien, convaincu d'être le seul à savoir ce qui s'est vraiment passé à bord. Mon père est la toute première personne à qui j'ai fait lire cette nouvelle. Ses commentaires se sont révélés constructifs, ils m'ont je crois encouragé à poursuivre dans cette voie.

Il y a donc à ce moment précis dans ce café du point du jour que moi et moi seul à savoir que j'ai sous les yeux la manifestation surnaturelle de la présence de Papa, le message d'espoir qu'il m'envoie 2 heures à peine avant la messe qui lui sera consacrée. J'en tire un curieux soulagement.

Car si personne n'en est jamais revenu, rien ne dit qu'aucune forme de communication ne soit possible entre notre monde et celui des partants. Je crois qu'il faut savoir prêter l'oreille, chercher autour de soi des indices concordants, l'espoir naît de cette foi dans le mystère des choses de la vie.

Il m'arrive parfois de rêvasser, je suis à bord d'un petit bateau un peu comme celui des tous premiers plans de l'Enfer des zombies (Lucio Fulci). Les asticot se trémoussent sur les touches du piano et je fixe d'un regard noir l'oeil du cyclone qui va bientôt me dévorer d'un trait, d'un seul, l'océan est déchaîné, les vagues deviennent des murs infranchissables et j'ai le sentiment que l'eau s'échine goutte après goutte à remplacer l'air et tout ce qui me sert habituellement d'oxygène. Glaciale, elle envahit tout de la cale à mes poumons, quand je grimpe au sens propre sur le pont à la verticale, accroché à quelque chose, au dernier espoir, cette musique qui semble arriver jusqu'à mes oreilles des tréfonds de l'au-delà, se faufilant parmi les colonnes d'acouphènes qui hachurent le grand large. A mesure qu'elle monte en moi, la tempête recule, le bleu oblique fait enfin sou trou dans le ciel, la lumière cisèle sa lucarne et tombe, chirurgicale, sur ce petit point mobile sur la ligne d'horizon d'une immensité redevenue docile. Le point grossit avec la musique, je ne rêve pas. Dans la même seconde, je distingue enfin les premiers accords émouvants d'American Trilogy d'Elvis Presley mais surtout la silhouette vent debout aux commandes d'une Jaguar Sovereign décapotée, transformée pour l'occasion en miraculeux hors-bord de fortune. A part le costume cintré blanc immaculé, un peu daté, à part la rageuse banane engluée d'épais cheveux noirs que je ne lui ai jamais connu qu'avant la quarantaine, Papa qui vole à mon secours n'a guère changé. J'attends sur le pont et me projette déjà.

Le serrer dans mes bras
Sentir son odeur
Entendre sa voix
Et nous regarder dans les yeux
Tout près. A nouveau.







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