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lundi 17 juin 2019

Parenthèse Mozambicaine Noël 1997


C'était au Mozambique. Un moment d'égarement. Parce que le deuil de son enfance se fait parfois, souvent, au prix d'expédients qui vous ôtent artificiellement une angoisse pourtant bien réelle. Le temps d'une anesthésie. Et quand dans cette période troublée, votre père vous appelle et d'une voix d'outre-tombe vous lâche en synthèse

"Fiston, je suis pas en forme j'ai pris un billet j'arrive après-demain.

Vous savez. Vous venez d'entrer dans l'âge adulte. Il vous y fait entrer. A sa façon, il vous dit que votre relation est en train de changer, que c'est mon tour de lui donner de l'oxygène, de la sécurité, une protection. Ma présence. Pour un partage d'une toute autre nature.

J'avais au son particulier de sa voix ce matin-là, à ces longs silences, à ces hésitations dont il n'était pas coutumier, à cette tristesse palpable, compris que je me devais d'être à l'aéroport deux jours plus tard. 

Et nous l'avons eu notre parenthèse enchantée. De ces vrais tête-à-tête, crâne contre crâne, de ces moments qui coulent silencieusement comme les jours et les nuits portant nos douleurs, et chaque instant de cette aventure restera à Maputo à tout jamais prisonnier de cette semaine de Noël 1997. Vous ne partagerez ce trésor avec personne d'autre et ne l'échangerez pour rien au monde. Comme les premières années de vos enfants égayées de votre présence et qu'il ne faut jamais laisser aux autres ou remettre à plus tard. Cette semaine ne reviendra pas. Mais vous l'avez vécue ensemble. Des longues marches diurnes, des explorations d'îles promises au téléphone, des soirées dansantes endiablées, des feijoadas englouties dans la Baixa, des incursions dans la Feira popular (lieu féérique et étrange tout droit sorti des cauchemars de David Lynch, de Carnival of souls, un lieu déglingué, à l'abandon, où l'on attend la suite au purgatoire en s'enquillant des fioles d'alcool frelaté) où l'on croise des fantômes venus d'asie et dont le corps tatoué nous fait imaginer qu'ils ont fui les triades comme Kitano dans Sonatine après une malheureuse bévue. De tous ces moments, vécus puis reconstruits, ré-imaginés, est née une imagination fertile, galopante par l'entrelacement de 2 cerveaux, 2 paires d'yeux, 4 narines, 4 mains, 2 bouches affamées de rissois, de caril de camaroes, de langoustes. Deux âmes blessées ont partagé au-delà des mots le pouvoir de se comprendre et de retisser le lien filial.

Et comme dans toute belle histoire, il fallait un point d'orgue, un moment de bascule émotionnelle, de rémission. Ce fut rendu possible par la peur immense vécue sur une frêle embarcation au large de Maputo. Parti pour pêcher, le moteur avait rendu l'âme et nous valdinguions sous l'orage de creux en creux au gré de la houle qui rugissait. A l'poque pas de téléphone portable. Nous claquions des dents et vîmes notre dernière heure arriver jusqu'au fameux miracle toujours inattendu : D'abord une tortue gigantesque vint tranquillement à la surface depuis les profondeurs abyssales pour prendre l'air, curieuse, le temps de constater l'infernale météo, de jauger notre fragile condition du moment, de frôler le petit hors-bord pour ce qui restera comme un spectacle à la fois éblouissant et glaçant. Elle, évidemment, s'en sortirait... Mais nous ? Une dizaine de minutes plus tard, un bateau de plaisance, hasard des hasard, passa suffisamment près pour nous repérer... Quelle probabilité ? La chair de poule, je l'ai encore en y repensant.

La bande originale de cette époque est mozambicaine. Côté Kisomba, ce fut Pato (amor inesquicivel) ou Don Kikas (esperança moribunda) incontournables tubes de minuit au Tara.






Mais c'est Kappa Dech ou Ghorwane qui les incarnaient le mieux.






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