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jeudi 30 juillet 2020

Le jour ni l'heure 2011

C'est en octobre 2011, j'arrive tout seul à Urt, autant dire à poil. Le ténébreux éclaireur laissant à dessein au pays femme et enfant pendant près de deux mois. Facile sur le papier, mais l'idée vaut noblesse et souffrance.
Je sens bien qu’il me faudra tâter de la solitude pour capter, extraire du fond de l'air les ondes positives émanant des noms illustres qui foulèrent un jour cette terre si fertile des bords de l’Adour.
C'est ainsi qu’un matin glacial, à dos de VTT fraîchement acquis en vue de perdre quelques kilos superflus, je regagne encore ensommeillé le petit chemin communal, segment très court qui borde l'accueillant cimetière du village. Les extrémités de mes doigts sont en berne, je les réchauffe d'une haleine toute matinale avant d'arpenter fébrilement les allées silencieuses à la recherche de la fameuse tombe de Roland Barthes à l'épitaphe obsédante : Le jour ni l'heure. 
A la faveur d'un premier rayon de soleil rasant, radieux, je la repère enfin. J’y cherche l'état second, l'apnée mentale qui nous fera entrer en contact. Mais en lieu et place du miracle espéré, je deviens tout bleu, le nez congelé au vent mauvais ne sent rien passer de miraculeux. Ne subsiste que le bruissement des dernières feuilles ornant le platane dégarni à l'entrée du carré silencieux.
Je rebrousse chemin, ignorant si je me suis ou non chargé de l'énergie créatrice du maître, espérant tout au fond de moi que la magie opèrera dès mon retour à l’Ermitage. Seulement la routine, autoritaire, reprend ses droits : sortir les poubelles, lancer une machine, assurer le repassage, lustrer le vénérable parquet, ramener du bois sec de la remise afin de raviver l'âtre oublié de la cheminée, manger puis laver mon assiette. Regarder la télé, m'insensibiliser à la dévorer sans relâche mais surtout sans appétit, m'effacer lentement devant mon désir.
Même le fascinant spectacle quotidien des 4 écureuils exécutant de façon anonyme quelques fabuleuses figures acrobatiques dans les arbres nus qui encerclent la maison par l'arrière me laisse anesthésié.
Je suis bredouille, ne voyant se matérialiser ni le jour ni l'heure du début d'un commencement d'histoire... Reste bien une piste, la seule qui vaille : de source sûre, Pierre Benoît a séjourné de nombreuses fois à l'Ermitage durant la première moitié du XXème siècle, il y aurait paraît-il écrit des bouts de roman. Son esprit pourrait-il alors m'insuffler quelque chose de libérateur, d'euphorisant ? Sera-t-il ma planche de salut ? J'ai la faiblesse de le penser.
La nuit suivante, des bruits sourds résonnent. Ca vient d'en bas. J'ai peur. Ils proviennent sûrement de la chaudière capricieuse tapie dans le sous-sol. Mais ne semblant pas vouloir disparaître, ils m'obligent hélas à quitter la chaleur de mon vieux lit qui grince. Je descends à pas comptés, pieds nus glacés, armé d'une lampe torche sujette aux faux contacts. Les bruits ont disparu lorsque j'arrive à la cave mais ils reprennent de plus belle alors qu'en regagnant la chambre je m'arrête devant le petit bureau que j'ai soigneusement aménagé, érigé en temple, jusque-là inviolé, de l'écriture. Une information capitale me revient alors subitement en mémoire.  L'imposante rampe sur l'escalier de l'entrée, le bâtisseur de la maison, un certain Jean Graciet, l'a faite installer pour les besoins d'un Pierre Benoît qui dit-on boitait bas... Une évidence se fait alors jour : ce bruit lourd, caverneux dans la nuit n'est rien d’autre que l'écho de son coup de canne autoritaire pour m'enjoindre à sortir du lit, regagner dans l'obscurité l'ordinateur afin de respecter le contrat que ma conscience et moi avons passés début octobre. Et cette nuit-là, j'ai commencé à écrire...

Ce retour par la case Urt pour y passer 2 ans coïncide avec l'approfondissement de la culture Basque et la découverte de morceaux de bravoure de sa chanson. Baga Biga Higa de Mikel Laboa naturellement. Kalakan et son incroyable Sagarra Jo également !     






Bénédiction. 2007


Une fois sur place débute la nidation. On se cherche des repères et parfois aussi des poux. Religieusement, chacun s'observe en silence, jaugeant la nouveauté, invisible adversaire. Un huis clos matière à nourrir de soyeux récits sombres et mystérieux. Une acclimatation qui devient possible par le réglage minutieux de la température dans la maison,  pour créer l'illusion d'un pays chaud dans le pays froid, pour garder comme un pied rêvé à Douala. Dans cette demeure trop vaste, au coeur d’un village trop petit, l’étouffant tableau se peaufine donc au coin du feu : un refuge de circonstances où dès la nuit tombée se réchauffent à l'unisson trois petites âmes frigorifiées. Puis un beau matin il est question  d‘arpenter ce nouveau monde pour oxygéner en famille à défaut de les changer nos idées noires. L'occasion est alors belle d'un pèlerinage aquatique sur les rives de l'océan atlantique. Biarritz et son Musée de la mer. Littéralement cerné par tant de mètres cubes d'eau salée, où s’ébattent en s’épiant du coin de l’œil un phoque rigolard, quelques requins marteau à la mine austère, deux ou trois raies Manta prodigieusement gracieuses, je ne peux m'empêcher de repenser à ce 20 avril 2007 qui fera date dans ma compréhension du monde et de ses petits secrets jalousement gardés.
 
A l'époque, je reviens dans cette maison, quelques jours après la mort de mon père, afin de l'accompagner vers sa dernière demeure. La messe se fera dans l'église du village le lendemain. J’y passe ma première nuit, glaçante, dans la chambre principale, animé du secret espoir de l'y rencontrer sous les draps, au détour d'un couloir obscur à la faveur d'un hululement d'outre-tombe tout signe surnaturel interprétable, histoire de réamorcer le dialogue père-fils. La nuit s’écoulera, hélas, paisiblement, triste et blanche. Epuisé, n'ayant pu trouver le sommeil, accroché à un espoir qui s'amenuisa jusqu’à se fracasser contre les murs de l'aube. Je rejoins tête basse le café qui vient d'ouvrir ses portes sur la petite place du village et m'installe au zinc.
 
En réajustant la jolie cravate sombre sur mon fameux complet gris des occasions tristes, mon regard se pose sur le petit écran au-dessus du bar. Radiographies millimétrées de l'actualité récente, les informations se succèdent quand le miracle se produit enfin : dérivant à la surface d'un océan calme, un petit bateau de plaisance vient d'être retrouvé au large des côtes australiennes. La famille à son bord est portée disparue. A ce stade, aucune explication rationnelle... Je suis abasourdi. Pas que cette histoire me touche particulièrement, elle fait surtout écho à une anecdote dont je suis à cet instant précis le seul à pouvoir mesurer l'invraisemblable portée. J'ai écrit ma première nouvelle en 1998, 9 ans plus tôt. Un jeune homme y fait un rêve étrange émaillé de détails précis lui permettant d'expliquer les causes du drame qui s’est noué à bord d'un petit yacht. A son réveil, le jeune homme apprend par les médias que son cauchemar s'est effectivement produit pendant la nuit précédente. Mon père est la toute première personne à qui j'ai fait lire cette nouvelle. Il y a donc à ce moment précis dans ce café du point du jour que moi et moi seul à savoir que j'ai sous les yeux la manifestation surnaturelle de sa présence, le message d'espoir qu'il m'envoie deux heures à peine avant la messe qui lui sera consacrée. J'en tire un curieux soulagement. C’est ainsi. Des pères s’en vont pendant que d’autres le deviennent.  C’est un ami cher qui me l’a dit. La bande originale de ce souvenir c'est évidemment ARE YOU READY de PACIFIC GAS AND ELECTRIC ! ! !