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jeudi 30 juillet 2020

Bénédiction. 2007


Une fois sur place débute la nidation. On se cherche des repères et parfois aussi des poux. Religieusement, chacun s'observe en silence, jaugeant la nouveauté, invisible adversaire. Un huis clos matière à nourrir de soyeux récits sombres et mystérieux. Une acclimatation qui devient possible par le réglage minutieux de la température dans la maison,  pour créer l'illusion d'un pays chaud dans le pays froid, pour garder comme un pied rêvé à Douala. Dans cette demeure trop vaste, au coeur d’un village trop petit, l’étouffant tableau se peaufine donc au coin du feu : un refuge de circonstances où dès la nuit tombée se réchauffent à l'unisson trois petites âmes frigorifiées. Puis un beau matin il est question  d‘arpenter ce nouveau monde pour oxygéner en famille à défaut de les changer nos idées noires. L'occasion est alors belle d'un pèlerinage aquatique sur les rives de l'océan atlantique. Biarritz et son Musée de la mer. Littéralement cerné par tant de mètres cubes d'eau salée, où s’ébattent en s’épiant du coin de l’œil un phoque rigolard, quelques requins marteau à la mine austère, deux ou trois raies Manta prodigieusement gracieuses, je ne peux m'empêcher de repenser à ce 20 avril 2007 qui fera date dans ma compréhension du monde et de ses petits secrets jalousement gardés.
 
A l'époque, je reviens dans cette maison, quelques jours après la mort de mon père, afin de l'accompagner vers sa dernière demeure. La messe se fera dans l'église du village le lendemain. J’y passe ma première nuit, glaçante, dans la chambre principale, animé du secret espoir de l'y rencontrer sous les draps, au détour d'un couloir obscur à la faveur d'un hululement d'outre-tombe tout signe surnaturel interprétable, histoire de réamorcer le dialogue père-fils. La nuit s’écoulera, hélas, paisiblement, triste et blanche. Epuisé, n'ayant pu trouver le sommeil, accroché à un espoir qui s'amenuisa jusqu’à se fracasser contre les murs de l'aube. Je rejoins tête basse le café qui vient d'ouvrir ses portes sur la petite place du village et m'installe au zinc.
 
En réajustant la jolie cravate sombre sur mon fameux complet gris des occasions tristes, mon regard se pose sur le petit écran au-dessus du bar. Radiographies millimétrées de l'actualité récente, les informations se succèdent quand le miracle se produit enfin : dérivant à la surface d'un océan calme, un petit bateau de plaisance vient d'être retrouvé au large des côtes australiennes. La famille à son bord est portée disparue. A ce stade, aucune explication rationnelle... Je suis abasourdi. Pas que cette histoire me touche particulièrement, elle fait surtout écho à une anecdote dont je suis à cet instant précis le seul à pouvoir mesurer l'invraisemblable portée. J'ai écrit ma première nouvelle en 1998, 9 ans plus tôt. Un jeune homme y fait un rêve étrange émaillé de détails précis lui permettant d'expliquer les causes du drame qui s’est noué à bord d'un petit yacht. A son réveil, le jeune homme apprend par les médias que son cauchemar s'est effectivement produit pendant la nuit précédente. Mon père est la toute première personne à qui j'ai fait lire cette nouvelle. Il y a donc à ce moment précis dans ce café du point du jour que moi et moi seul à savoir que j'ai sous les yeux la manifestation surnaturelle de sa présence, le message d'espoir qu'il m'envoie deux heures à peine avant la messe qui lui sera consacrée. J'en tire un curieux soulagement. C’est ainsi. Des pères s’en vont pendant que d’autres le deviennent.  C’est un ami cher qui me l’a dit. La bande originale de ce souvenir c'est évidemment ARE YOU READY de PACIFIC GAS AND ELECTRIC ! ! !


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